Sam Zaenker
  • La vie que je vis quand je ne dis rien.

    Je l’ai déjà dit, je suis une maniaque des carnets, des journaux. Mais qu’est-ce que j’écris dedans ? Il y a d’abord la vie visible, celle qu’on raconte : les rendez-vous, les courses, les repas, les mots échangés pour remplir les heures. Et puis, surtout, il y a l’autre : celle qui se déroule sans bruit, à l’intérieur, comme un film qu’on regarde seul. C’est là que tout se passe vraiment. Pendant que le corps s’affaire, l’esprit vagabonde ailleurs : dans une phrase qu’on n’a pas dite, dans un souvenir qui insiste, dans un monde inventé pour tenir debout, dans des plans flous qui s’échafaudent, ou s’écroulent. La vie…

  • Changer sans bruit.

    Il n’y a pas toujours de signe avant-coureur. Parfois, le changement commence sans prévenir, comme un lent déplacement du sol sous les pas. Rien de visible. Rien de spectaculaire. Juste une autre manière de respirer. Les grands bouleversements font du bruit ; les vrais, non. Ils se tissent dans les heures silencieuses, dans les gestes répétés, dans la fatigue qu’on ne commente plus. Un matin, on s’aperçoit qu’on ne pense plus tout à fait pareil, qu’un mot qu’on aimait s’est éteint, qu’une peur ancienne ne mord plus. Changer sans bruit, c’est laisser le temps travailler à notre place. C’est comprendre que l’identité ne se retourne pas d’un coup, mais…

  • Nous n’habitons plus les mêmes phrases.

    Au début, tout brûle : les gestes, les voix, la moindre hésitation devient étincelle. Deux êtres se parlent dans une langue qu’eux seuls comprennent, une grammaire née de la fusion, du vertige et du hasard. Puis, un jour, cette langue se fissure. Les mots se désaccordent. Les phrases qui autrefois portaient la chaleur ne diffusent que douleur et chagrin. On continue de parler, mais le souffle n’y est plus, comme des acteurs récitant un texte dont ils ont oublié le rôle. Ou alors, on ne parle plus du tout, et les abîmes se creusent au milieu de poitrines déchirées. Parce que l’amour, quand il s’éteint, ne disparaît pas immédiatement…

  • Le bruit de la pluie sur les carreaux.

    Il pleut depuis ce matin. Pas la grosse pluie d’orage, non, celle qui s’installe doucement, sans prévenir, comme si elle voulait rester un moment. Les gouttes glissent le long des vitres, se croisent, se perdent. Et moi, je les regarde filer sans trop savoir à quoi je pense. Le monde dehors s’est un peu effacé. Tout semble ralenti, feutré, comme s’il fallait chuchoter pour ne pas troubler quelque chose. Je crois que j’aime ça : cette façon qu’a la pluie de mettre les gens à distance, de tout ramener à l’essentiel : une tasse chaude, une lampe allumée, le bruit du ciel sur le verre. Quand j’étais petite, j’imaginais…