Sam Zaenker



À la veille de ses quarante ans, Mathilda travaille à tourner la page sur son passé tourmenté. Grâce à des années de thérapie, au soutien indéfectible de son mari Paul et à l’aide précieuse de son chien d’assistance Pepper, elle commence enfin à reprendre le contrôle de sa vie. 

Mais ce jour-là, un notaire l’informe du décès de sa mère, qu’elle avait fuie vingt ans auparavant. Outre les révélations inattendues du testament, c’est dans la maison familiale, l’endroit qu’elle redoute tant, qu’elle va devoir affronter son passé douloureux et ses pires secrets. 

Au cœur du chaos menaçant son fragile équilibre mental, Mathilda entrevoit une ultime chance de réaliser son rêve d’enfant : une famille. Pourtant, les liens du sang sont-ils véritablement plus forts que ceux du cœur ? Tandis que cette question la hante, son espoir vacille et, avec lui, peut-être même sa vie.

La mère de Sang © Sam Zaenker 2024



Le fer brûlant touche la peau de son dos et un hurlement qu’elle ne reconnaît pas s’échappe de sa gorge. L’odeur des cheveux grillés envahit ses narines et elle a peur un moment que sa tête ne prenne feu. Elle s’entend crier d’une voix qu’elle ne reconnaît pas. Elle se débat comme elle peut, mais la poigne lui tenant le bras ne lâche pas. Une éternité s’écoule avant que le métal brûlant ne quitte finalement son dos, pendant que le tissu de sa robe s’incruste profondément dans sa chair meurtrie. Elle s’entend supplier entre deux sanglots. Elle a du mal à respirer, et l’impression de basculer dans le vide. C’est sûrement ça, mourir...
Mais les larmes continuent à couler sur ses joues, et elle s’en rend compte parce qu’elle doit se frotter les yeux pour y voir plus clair. Dans sa gorge, la boule énorme qui s’est formée lorsqu’elle avait aperçu le regard fou de sa mère continue d’enfler, au risque de l’étouffer. (...)
Elle ne veut pas l’entendre rire de sa douleur, se moquer de son calvaire. Elle regrette. Bien sûr, elle regrette. Ces trois biscuits au chocolat avalés à la hâte la nuit dernière, en cachette, ne valaient pas ça. Mais elle mourait de faim, même si elle sait maintenant que la faim ne fera jamais aussi mal que cette punition là.

« La mère de sang » © Sam Zaenker, 2024

La cinquième clé s’avéra la bonne. Mathilda regarda Paul déverrouiller la porte et entrer, suivi de Pepper. Elle-même resta un moment sur le seuil. Paul cherchait visiblement où allumer les lampes, quand, sans réfléchir, elle tendit le bras sur la gauche, et actionna l’interrupteur. Le corps n’oublie pas les gestes répétés des centaines de fois. 

La lumière jaillit et ses yeux contemplèrent un intérieur qui n’existait plus. Elle avait connu ici de rares moments de bonheur dans les bras doux et blancs de Séraphine, sa grand-mère adorée. Mais c’est aussi ici qu’elle avait vécu l’enfer, seule avec sa mère. Rouée de coups jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus bouger, brûlée si gravement qu’elle en portait encore les cicatrices, mordue au sang, frappée au ceinturon de cuir, bouclée dans le noir pendant des heures, affamée, insultée, abusée émotionnellement, sa psyché encore immature avait été brisée de toutes les manières possibles par elle qui aurait dû la protéger.

Elle cligna des yeux lorsqu’une odeur fétide envahit ses narines, lui révélant l’ampleur du désastre. La maison d’antan n’existait plus, détruite, comme son esprit, par la rage inextinguible de Frauke Schreiber.

« La mère de sang » © Sam Zaenker, 2024