Épisode 2 : Le rouge et le Noir
Plongée dans Le Rouge et le Noir : Décryptage et Analyse du Chef-d’œuvre de Stendhal
Rejoignez-nous pour un nouvel épisode captivant de notre podcast où nous plongeons dans l’univers complexe de Le Rouge et le Noir de Stendhal. Dans cet épisode, nous explorons en profondeur le roman emblématique du XIXe siècle qui a marqué la littérature française par son analyse aiguë de la société et de l’ambition.
Ce que vous découvrirez dans cet épisode :
- Analyse des Personnages : Plongez dans les caractéristiques fascinantes de Julien Sorel, le protagoniste ambitieux, et de Madame de Rénal, la femme qui bouleverse sa vie. Découvrez les dynamiques de pouvoir et les conflits internes qui définissent ces personnages.
- Thèmes Principaux : Explorez les thèmes centraux du roman, notamment l’ambition sociale, l’hypocrisie, et le conflit entre les aspirations personnelles et les attentes sociétales.
- Contexte Historique : Décryptez le cadre historique de la Restauration en France et comment il influence les choix et les trajectoires des personnages de Stendhal.
- Symbolisme et Style : Analysez le style narratif unique de Stendhal et le symbolisme riche qui sous-tend l’œuvre, offrant une perspective sur la manière dont le roman critique les normes sociales et politiques de son époque.
- Répercussions Culturelles : Découvrez comment Le Rouge et le Noir a influencé la littérature moderne et comment il continue d’inspirer les adaptations et les critiques littéraires contemporaines.
Ne manquez pas cette occasion de redécouvrir Le Rouge et le Noir sous un nouveau jour. Que vous soyez un passionné de littérature ou un lecteur curieux, cet épisode vous offrira une analyse enrichissante de ce chef-d’œuvre intemporel.
Écoutez dès maintenant et plongez dans l’univers captivant de Stendhal avec nous !
Transcription
Bonjour et bienvenue sur le podcast Café Classique.
Je m’appelle Sam Zaenker, je suis écrivain et je vous invite à découvrir ou redécouvrir avec moi les grands classiques de la littérature autour d’une bonne tasse de café, de thé ou de chocolat d’ailleurs.
C’est vous qui choisissez.
L’idée, vous l’aurez deviné, c’est de s’installer dans ce petit coin cosy où on adore se poser pour lire et plonger dans un bon bouquin.
Ce podcast entièrement dédié au grand texte est publié le 1er et le 3e mercredi du mois et vous pouvez en retrouver tous les épisodes sur la plupart des plateformes podcasts ainsi que sur mon site internet www.samzaenker.com Si vous aimez ce que je fais, n’oubliez pas de cliquer le petit bouton pour vous abonner, ça fait toujours plaisir de savoir que quelqu’un écoute!
Alors aujourd’hui, nous nous concentrons sur Le Rouge et le Noir de Stendhal.
Et pour commencer, nous allons un petit peu parler de l’auteur.
Stendhal, de son vrai nom Marie-Henri Beyle, est né le 23 janvier 1783 à Grenoble. Aîné des trois enfants, son père s’appelle Chérubin Beyle, un avocat ambitieux siégeant au parlement de Grenoble et sa mère est Henriette Gagnon, la fille d’un célèbre médecin grenoblois, homme des lumières.
Henri perd sa mère lors de la naissance de sa sœur la plus jeune alors qu’il n’a que sept ans. On sait peu de choses au sujet de sa mère sinon qu’Henri l’adorait réellement. Il réagira d’autant plus mal quand son père se lie à la sœur de sa défunte mère, et l’abandonne à la tyrannie d’un percepteur qu’il déteste, l’abbé Raillane.
Heureusement, son grand-père maternel, Gagnon l’initie à la littérature dans sa maison que le jeune Henri considère comme un petit paradis à l’inverse de la maison de son père qu’il voit sombre et humide. Henri se rebellera presque toute son enfance contre son père qu’il déteste, allant jusqu’à sympathiser avec les jacobins, pendant La Terreur, et se réjouissant même quand son père royaliste est arrêté pendant un an, et menacé de la guillotine. Pour mémoire, la terreur désigne la période de la Révolution française entre juin 1793 et juillet 1794, durant laquelle tous ceux soupçonnés d’être contre la révolution étaient très brutalement punis. On estime que 25 000 à 40 000 personnes ont été tuées dans ce temps-là. La menace sur le père Beyle n’était donc pas négligeable.
De 1796 à 1799, Henri Beyle fréquente la nouvelle École Centrale de Grenoble où il brille particulièrement en mathématiques et quitte avec plaisir la province qu’il déteste pour entrer à l’école polytechnique à Paris lorsque son abbé s’enfuit, après avoir refusé de prêter serment contre le roi. Au même moment, sa tante détestée meurt et Henri est enfin libre.
Il n’a pourtant pas l’intention d’étudier à Polytechnique et ne s’inscrira même pas aux concours. Il veut écrire des comédies. Malheureusement pour lui, la petite chambre dans laquelle il loge est très peu chauffée et il tombe malade, en partie parce qu’il déteste la vie parisienne et Paris en général. Il espérait aussi tomber amoureux, mais il est alors très timide et n’ose parler aux femmes. Bientôt Henri ne quitte plus son lit, ce qui fait qu’un lointain cousin, Daru, le recueille dans son hôtel particulier. Les Darus sont très proches de Napoléon Bonaparte et ils soutiennent sa montée fulgurante. Henri profite de cette proximité, et il triomphe en tant que lieutenant à la victoire de Napoleon en Italie en 1800. Il tombe amoureux de la ville de Milan, qu’il apprend à connaître sous son meilleur jour, mais aussi de l’art italien, de sa musique et de son art de vivre, ce qu’il consigne dans son journal commencé en avril 1801.
Il contracte malheureusement aussi la syphilis dans un bordel ce qui le forcera à quitter momentanément l’armée en 1802, lorsque la maladie empire, bien qu’il conserve sa solde de sous-lieutenant. Il démissionne finalement en juillet et vit de ce que son père consent à lui envoyer.
En 1806, il est partiellement remis, et revient en temps qu’adjoint au commissaire des guerres, à nouveau grâce aux Daru. Il a passé les quatre dernières années à lire, et à faire des expériences en amour, dans les affaires et la littérature, entre Grenoble, Paris et Marseille. Il prend finalement la fonction de gérant des domaines impériaux en 1807, dans le département de l’Ocker au royaume de Westphalie qui correspond plus ou moins aujourd’hui à la Basse-Saxe en Allemagne.
Il y tombe amoureux de Wilhelmine de Griesheim, qu’il nomme Minette, mais qui est fiancée à un autre. Même s’il est amoureux, cela n’empêche pas Henri de coucher avec d’autres femmes.
Il vit à cette époque à Brunswick, situé à environ 100 km au sud de la ville de Stendal, dont on assume qu’il a adopté le nom dix ans après son séjour en Allemagne, en 1817.
En 1812, Beyle participe à la grande marche napoléonienne sur la Russie et arrive jusqu’à Moscou en septembre dont il reviendra sans grand dommage. La syphilis revient à la charge et il doit prendre deux années de vacances en 1813 et 1814 qu’il va passer en partie à Milan. Il voyage aussi à Florence, où il est tellement submergé d’émotions sensorielles dues à l’art qui l’entoure, qu’on baptisera le Syndrome de Stendhal, décrivant une surcharge sensorielle, après lui.
Il dit en effet : « J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. En sortant de Santa Croce, j’avais un battement de cœur, la vie était épuisée chez moi, je marchais avec la crainte de tomber. »
En mars 1818, Stendhal rencontre Matilde Viscontini Dembowski, membre de la famille des Visconti, et l’amour de sa vie. Elle est mariée avec un général, Jan Dembowski, dont elle vit cependant séparée depuis 1814. Elle restera son obsession jusqu’en 1824, mais comme elle le repousse après avoir entendu d’une amie qu’il était un séducteur, il commet une grossière erreur en 1819. Il la suit, alors déguisé, quand elle se rend chez ses fils. Elle ne le lui pardonnera jamais, malgré les nombreuses excuses d’Henri Beyle.
C’est aussi en 1819 que le père d’Henri Beyle meurt, lui laissant une misère en héritage, ce qui le force à travailler comme journaliste. En 1821, il est forcé de quitter Milan puisqu’on le soupçonne de comploter contre le gouvernement autrichien alors au pouvoir. Il ne retournera plus jamais dans la ville adorée. Il vit à Paris, puis à Londres, puis de nouveau à Paris où il s’installe finalement en 1824. Stendhal est admiré dans les soirées pour sa manière de raconter des histoires, mais aussi choque par certaines de ses idées et ses provocations.
Il n’a cessé jusque là de publier des essais, des poèmes et des nouvelles qui pourtant ne rencontrent que des succès modestes. Il est aussi accusé à plusieurs reprises de plagiat, et il est d’ailleurs connu aujourd’hui, qu’il a en effet plagié plusieurs auteurs. De 1824 à 1826, il est l’amant de Clémentine Curial, qui le guérit enfin de sa chère Mathilde.
En 1829, il commence à écrire son second roman, le Rouge et le Noir. Le premier, Armance, n’a pas convaincu le public. Le rouge et le Noir parait le 13 novembre 1830 et confère à Stendhal une certaine notoriété dont il ne perçoit pas grand-chose lui-même puisqu’il est à ce moment-là consul en Italie. C’est aussi le début d’une période particulièrement prolifique dans son écriture : avec deux autobiographies, des romans qu’il n’achèvera pas, mais surtout, Stendhal dicte en seulement 53 jours La chartreuse de Parme qui lui vaut la célébrité, et l’admiration de Balzac. Ce sera la seule publication dont il vivra l’écho de son vivant.
Pourtant, Stendhal sera réellement reconnu comme l’un des plus grands auteurs ayant jamais vécu au début du XXe siècle. Cela tient en grande partie à son approche très psychologique de ses personnages. Il fut même qualifié par Nietzsche de dernier grand psychologue de la France.
Nietzsche écrit : « l’expression la plus réussie de la curiosité et de l’inventivité dont les Français ont fait preuve dans ce domaine des subtils frissons, j’en vois l’incarnation dans Henri Beyle, cet extraordinaire précurseur qui parcourut à une allure napoléonienne, en veneur et en découvreur, l’Europe de son temps et plusieurs siècles de l’âme européenne : il a fallu deux générations pour le rattraper tant bien que mal, pour deviner après lui quelques-unes des énigmes qui le tourmentèrent et le ravirent, cet étonnant épicurien, ce point d’interrogation fait homme, le dernier grand psychologue de la France… »
Et il écrira également : « Stendhal, l’un des « hasards » les plus beaux de ma vie — car tout ce qui fait époque en moi m’a été donné d’aventure et non sur recommandation, — Stendhal possède des mérites inestimables, la double vue psychologique, un sens du fait qui rappelle la proximité du plus grand des réalistes (ex ungue Napaleonem « par la mâchoire [on reconnaît] Napoléon »), enfin, et ce n’est pas la moindre de ses gloires, un athéisme sincère qu’on rencontre rarement en France, pour ne pas dire presque jamais […] Peut-être suis-je même jaloux de Stendhal. Il m’a volé le meilleur mot que mon athéisme eût pu trouver : « La seule excuse de Dieu, c’est de ne pas exister. »
En mars 1841, Stendhal est frappé d’un premier accident vasculaire cérébral, et mourra d’un deuxième un an plus tard, le 23 mars 1842, à Paris.
Alors le roman sur lequel nous nous concentrons aujourd’hui c’est Le Rouge et le Noir :
L’action du roman se situe à Verrières, une petite ville de Franche-Comté. Le héros, Julien Sorel, est le troisième fils d’un scieur. Ses frères aînés sont je cite « des espèces de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin qu’ils allaient porter à la scie ». Julien, lui, est un frêle jeune homme de dix-neuf ans.
Son père comme ses frères ne sont pas franchement du genre intellectuel, et ne s’intéressent ni à la lecture ni aux études, qui au contraire constituent la passion de Julien. Il connaît par cœur le Nouveau Testament en latin, mais pas par piété, sinon pour impressionner le curé Chélan, qui l’a pris sous sa protection. Comme il est malheureux dans sa famille, où on le méprise et le frappe, je cite « Objet des mépris de tous à la maison, il haïssait ses frères et son père : dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu », il est recommandé par le curé au maire de la ville, Monsieur de Rénal, qui le prend comme précepteur de ses enfants, voyant là la confirmation de sa prédominance sociale « Eh bien ! J’aime assez qu’ils voient passer les enfants de M. de Rénal, allant à la promenade sous la conduite de leur précepteur. Cela imposera. »
Pour Julien c’est le début d’une nouvelle vie. Il a beau être très timide, et un peu gauche, il arrive à séduire Mme de Rênal, la belle et jeune épouse de son patron, elle même très timide par ses manières délicates et son intelligence. Mais au début, il décide de la séduire presque plus par devoir que parce qu’il la désire, un peu comme un défi qu’il se lance pour se convaincre de sa supériorité. En même temps, Julien rêve de devenir une sorte de nouveau Napoléon Bonaparte, mais garde ce projet secret.
Il est en effet obligé de mentir sans arrêt, pour cacher ses sentiments pour Madame de Rénal à son patron, et son admiration pour l’empereur au curé Chélan.
Malheureusement pour lui, même si les enfants auxquels il enseigne l’adorent, et que la maîtresse de maison est tombée amoureuse de lui, la fierté de Julien lui cause des problèmes. La femme de chambre de Madame de Rénal, elle aussi amoureuse de Julien, lui fait des avances qu’il repousse, et par jalousie, celle-ci va lancer la rumeur accusant d’adultère sa patronne et Julien auprès de M. Valdenot, un rustre nouveau riche adversaire de m. De Renal, et l’ennemi de Julien.
Même si le maire se moque au final de ce qu’il pense être juste des colportages de jaloux, il doit pourtant se résoudre à se séparer de Julien, qui entre alors au grand séminaire de Besançon.
La séparation de Julien avec sa maîtresse, Madame de Rénal, se passe mal. Elle se montre en effet réservée alors qu’elle est folle amoureuse de lui, après tout, Julien est le premier homme qu’elle aime, et lui, de son côté, pense lui être devenu indifférent. C’est de là que tout le drame final va partir.
Au séminaire, Julien n’est pas populaire. Il considère que ses camarades, la plupart paysans, ne sont là que pour échapper à leur misère et vivre la vie, en comparaison confortable, de prêtre.
Il passe de la protection du curé Chélan à celle de l’abbé Pirard. Cela n’empêche pas que Julien déteste le séminaire. Avant que l’abbé Pirard ne doive lui-même quitter le séminaire à cause de querelles de pouvoir au sein de l’église, il s’assure de placer Julien comme secrétaire à Paris d’un Marquis de retour d’exil, le marquis de la Mole.
À son service, Julien se montre brillant. Il apprend vite, et il ne tarde pas à gagner la confiance de son patron. Au travers de celui-ci, Julien a aussi accès aux salons de la haute société parisienne. C’est là qu’il remarque Mathilde, oui oui, Mathilde, comme l’objet de la passion d’Henri Beyle, qui est la plus jeune fille du Marquis. Elle est la cible de toutes les attentions masculines, mais ces messieurs l’ennuient profondément.
Au début, Julien ne s’intéresse pas spécialement à elle. Il reste à distance par crainte qu’elle ne blesse son orgueil comme il pense que l’a fait Madame de Rénal. Et c’est précisément cette distance qui va exacerber l’attention de Mathilde. Elle voit en Julien un nouveau Danton, et un génie révolutionnaire. Elle tombe amoureuse de lui et lui écrit une lettre enflammée. Mais Julien pense qu’elle lui tend un piège pour le compromettre. Pourtant, il tombe lentement amoureux d’elle, mais pensant ayant appris de ses erreurs, il le lui cache pour ne pas perdre son intérêt.
Mathilde tombe de plus en plus éprise du jeune Julien qui n’est pourtant pas noble, alors que cela va à l’encontre des règles sociales qu’elle-même chante sur tous les tons. Lorsqu’elle tombe finalement enceinte, elle n’a plus d’autre choix que d’avouer la relation à son père, le marquis de la Môle, qui se sent trahie par Julien. Néanmoins, il se résout bon gré mal gré à fournir à Julien une nouvelle identité, un grade d’officier de la noblesse et à accepter leur mariage pour ne pas ruiner la réputation de sa maison. Julien Sorel devient donc, Monsieur le Chevalier Julien Sorel, de la Vernaye.
Le Marquis, soucieux de ne pas faire d’erreur, prend tout de même quelques renseignements sur le passé de Julien. Il reçoit une lettre de Madame de Rénal qui lui présente Julien comme bourreau des cœurs, n’ayant en tête que de s’accaparer l’argent de femmes riches. En effet, elle-même s’est entre temps repentie de son adultère et c’est son confesseur, lui-même désireux de faire carrière auprès du Marquis, et ennemi de Julien, qui lui a dicté la lettre.
Lorsqu’il apprend le contenu de cette lettre, Julien, qui voit son futur d’officier et son ascension sociale à deux doigts de lui échapper, retourne à Verrières et ouvre le feu par deux fois sur Madame de Rénal, en plein milieu de la messe.
Celle-ci se remet heureusement de ses blessures et se réconcilie avec Julien pendant son incarcération. C’est là que Julien se rend compte de son côté qu’il n’a toujours aimé qu’elle et réalise son erreur quant à leur séparation.
Mathilde, très jalouse de Madame de Rénal, souffre maintenant de l’indifférence de Julien. Néanmoins, les deux femmes feront tout pour tenter de sauver sa vie puisqu’elles l’aiment toutes les deux. Mathilde en essayant de soudoyer un ecclésias, Madame de Rénal en écrivant aux jurés. Seulement Julien, enfin en paix avec lui-même, préfère mourir que de vivre avec ce qu’il a fait. Et lorsque le juge lui demande s’il a encore quelque chose de dire, alors qu’il pense être tiré d’affaire, il se lance dans une grande tirade décrivant la société dans laquelle il a évolué toute sa jeune vie, et prédisant qu’il serait condamné, parce que personne de sa « caste » c’est-à-dire des paysans, ne fait partie du jury.
Il dit :
« Messieurs les jurés, l’horreur du mépris que je croyais pouvoir braver au moment de la mort me fait prendre la parole. Messieurs, je n’ai point l’honneur d’appartenir à votre classe, vous voyez en moi un paysan qui s’est révolté contre la bassesse de sa fortune.
Je ne vous demande aucune grâce. Je ne me fais point illusion, la mort m’attend : elle sera juste. J’ai pu attenter aux jours de la femme la plus digne de tous les respects, de tous les hommages. Madame de Rênal avait été pour moi comme une mère. Mon crime est atroce, et il fut prémédité. J’ai donc mérité la mort, messieurs les jurés. Quand je serais moins coupable, je vois des hommes qui, sans s’arrêter à ce que ma jeunesse peut mériter de pitié, voudront punir en moi et décourager à jamais cette classe de jeunes gens qui, nés dans un ordre inférieur, et en quelque sorte opprimés par la pauvreté, ont le bonheur de se procurer une bonne éducation, et l’audace de se mêler à ce que l’orgueil des gens riches appelle la société.
Voilà mon crime, messieurs, et il sera puni avec d’autant plus de sévérité, que, dans le fait, je ne suis point jugé par mes pairs. Je ne vois point sur les bancs des jurés quelque paysan enrichi, mais uniquement des bourgeois indignés… »
Julien ajoute aussi qu’il avait prémédité son geste et mérite sa sentence. Sa provocation porte ses fruits, puisqu’elle choque les jurés et le public, et il est en effet condamné à la guillotine.
Mathilde demande à récupérer sa tête. En effet, selon la légende, la reine margot, supposée avoir été la maîtresse de l’ancêtre de Mathilde, Boniface de la Mole, avait fait embaumer la tête de son amant pour la conserver dans sa chambre, et fait enterrer son corps. Mathilde, qui admire son ancêtre, fait de même.
Madame de Rénal, elle, promet à Julien de s’occuper de l’enfant à naître, mais elle meurt trois jours après lui dans les bras de ses enfants.
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Alors pourquoi le rouge et le noir est-il considéré comme un tel monument de la littérature ?
Stendhal disait : « Nous ne sommes pas heureux, parce que nous sommes vaniteux ».
Le roman se base sur un fait divers, l’affaire Berthet. Antoine Berthet a tiré lui aussi sur une ancienne maîtresse et a été condamné à mort et exécuté en 1828. Les conditions de sa vie sont très proches de celles de Julien.
Pourquoi Stendhal a-t-il choisi ce titre énigmatique du rouge et du noir, n’a jamais pu être éclairci. On a assumé d’abord que le rouge symbolise l’armée, où Julien voulait faire carrière, mais non pas l’armée de 1830 qui portait dans son esprit des manteaux blancs comme Julien le décrira lui-même au tout début du roman. On pense que cela ferait en fait référence aux couleurs de l’armée de l’empire napoléonien. Et le noir, ce serait le clergé, où Julien pense devoir finalement évoluer pour réaliser ses ambitions sociales.
Mais il existe une autre explication possible : en effet, on a supposé que le titre pourrait renvoyer au jeu de cartes le Rouge et noir, aussi appelé Banque rouge et noir, supposé avoir été introduit à la cour française par le cardinal Mazarin. Étant donné que le hasard et la chance décident seuls du destin de Julien tout au long du roman, on peut y voir là une explication. Le titre original était d’ailleurs simplement : Julien.
Enfin, il faut remarquer que d’autres romans de Stendhal ont hérité de noms de couleur : Le Rose et le Vert, et le Rouge et le Blanc, Lucien Leuten.
Stendhal décrit avec beaucoup d’instinct le fossé qui sépare la bourgeoisie de la noblesse, et la province de Paris, à la veille de la révolution de juillet 1830.
Il décrit avec beaucoup de détails précis comment les personnages de son roman perçoivent les choses : ce sont des êtres désillusionnés, froids, et dénués de tout idéalisme, pour lesquels seules les apparences et la position sociale comptent. C’est un portrait peu avantageux de ses contemporains. Honoré de Balzac a écrit que par ces lignes, « Stendhal arrive parfaitement à blesser le cœur humain ».
Pour lui décrire la voie de la réussite, on dit à Julien :
« Vous pourrez faire fortune, mais il faudra nuire aux misérables, flatter le sous-préfet, le maire, l’homme considéré, et servir ses passions : cette conduite, qui dans le monde s’appelle savoir-vivre, peut, pour un laïque, n’être pas absolument incompatible avec le salut »
Julien, dont le personnage est largement inspiré par Henri Beyle lui-même, est un jeune homme ambitieux et assoiffé d’ascension sociale. Et comme tous ceux dans sa situation à l’époque, la seule possibilité quasiment d’arriver à ses fins se trouve au sein de l’église toute puissante. Cependant, contrairement aux chances de la société napoléonienne d’avant la restauration, les chances de réussir sont désormais minimes et en effet, Julien ne parviendra pas à ses fins. La restauration en effet effacé toutes les avancées sociales et rétabli les structures d’avant la révolution doublées de la crainte permanente des nobles d’une nouvelle révolution. Mathilde elle-même voit en Julien un nouveau Danton, avec tout ce que cela implique de danger.
On a presque envie de dire que plus que Julien, l’hypocrisie est le personnage principal dans le Rouge et le Noir. Ce qu’on pense n’est jamais exprimé à haute voix, par Julien moins que tout autre. Il est bonapartiste, mais évolue dans les milieux royalistes. Les relations sont toutes de nature politiques, même entre père et fils. Il dit : « Comme si en Province, un père riche consultait un fils qui n’a rien, autrement que pour la forme ». Il dit aussi : « La parole a été donnée à l’homme pour cacher sa pensée. » Stendhal lui-même nomme son héros l’hypocrite à plusieurs reprises. Et cette hypocrisie ne le quitte jamais, même pas avec son ami d’enfance : je cite « son hypocrisie faisait qu’il n’était pas libre même chez Fouqué ».
Tous les personnages du roman sont uniquement motivés par leur rang, par leurs postes, l’argent ou le pouvoir. La seule exception est peut-être Madame de Renal qui découvre l’amour pour la première fois à trente ans, et rêve d’une vie coupée du monde avec Julien. Cependant, lorsque son fils tombe malade, elle pense être punie pour son adultère et ses mensonges à son mari, ce qui la mènera en partie à vouloir éloigner Julien d’elle.
Même les camarades de Julien au séminaire n’ont rien de pieux personnages, mais voient dans la prêtrise une porte vers une vie meilleure et de meilleurs repas. Il se moque de ce que leur ambition vise à la choucroute du dîner.
Au final, Julien n’est jamais lui même que lorsqu’il est seul, et ne sera honnête qu’une seule fois dans tout le roman. Ce sera pendant son procès pour l’attentat de meurtre sur Madame de Rénal. Il décrit alors la société bourgeoise avec fidélité, ce qui provoque la colère des jurés et lui assure la peine de mort puisque personne ne souhaite entendre un portrait aussi peu flatteur. Stendhal admet pourtant cette hypocrisie comme une nécessité pour Julien s’il veut trouver son bonheur et pointe le regard du lecteur sur elle à chaque fois que c’est possible.
Enfin, ce qui rend le roman si particulier, c’est l’analyse approfondie des sentiments et des pensées des personnages, qui justifient leurs actions. Ceux de Julien bien sûr, mais aussi de Mathilde et Madame de Rênal, qui l’aiment toutes les deux, mais de manière aussi différente que possible. On sait à tout moment comment les personnages se sentent, on suit leur lutte intérieure ; leurs conflits et leurs motifs. On les comprend parce que Stendhal sait montrer à chaque chapitre quel raisonnement les a menés là et ce qui, dans leur personnalité et leur expérience, justifie leurs actes.
Tout comme dans le Comte de Monte Cristo, dont je vous parlais dans l’épisode précédent de ce podcast, je suis frappée par la modernité des thèmes de Stendhal.
L’ambition, l’argent, le désir de s’élever socialement, et le prix de la réussite sont des questions en effet intemporelles, et rares sont ceux qui même en 2024 peuvent prétendre en être détachés. L’amour simple et vrai de Madame de Rénal s’oppose violemment aux intrigues et à l’hypocrisie du milieu dans lequel évolue Mathilde, comme le désir réel d’une relation romantique de Julien le tiraille entre son origine modeste et ses ambitions démesurées.
Comme dans le monde de Julien, l’image de soi que l’on donne de nos jours sur les réseaux sociaux s’accompagne d’un certain désir de statut social. On est plus « bankable » si on est connu, si on a tant et tant de followers. Et de façon cynique, peu importe au final la qualité de la personne en question dans certains cercles ; on s’intéresse uniquement à son impact dans une communauté, qu’il s’agisse de célébrités au cinéma, des influenceurs sur les réseaux sociaux, etc. Comme Julien, il appartient à chacun de décider à quel point la reconnaissance de nos pairs nous importe, ainsi que notre besoin d’authenticité. Ce sont des thèmes on ne peut plus actuels.
De la même façon, l’amour occupe une place centrale dans la vie de Julien, comme elle l’a fait dans celle de Stendhal lui-même. La recherche du bonheur est un thème universel, et tout comme Julien, nous devons là aussi nous demander ce qui est le plus important pour nous : rester fidèle à soi-même au risque de déplaire aux autres, ou s’adapter aux conventions sociales en place, parfois au prix d’hypocrisie pour parvenir à ses fins et réaliser ses ambitions.
Ainsi, Julien est très populaire aussi longtemps qu’il dit ce que tout le monde veut entendre, et on fait la queue dans les dîners pour assister à ses prodiges comme ses récitations en latin du Nouveau Testament, mais il se retrouve vite au banc des condamnés à mort quand il dit tout haut ce qu’il pense vraiment de la société dans laquelle il vit, lorsqu’il décide de mourir sur l’échafaud.
C’est également ici un thème très actuel, dans un monde où la cancel culture est souvent opposé à la liberté d’opinion. Cette crainte permanente de dire quelque chose de non politiquement correct ne risque-t-elle pas dans une certaine mesure de provoquer l’émergence d’une nouvelle forme de censure, puisqu’on risque un vrai lynchage social si l’on ne dit pas ce qui est considéré comme acceptable ?
Ainsi, au début du roman Julien a parfaitement conscience de ses origines modestes, il est aussi présenté comme un jeune homme timide et fragile, à part dans le monde qui l’entoure, et à l’opposé de « ces êtres grossiers, effrontés et bruyants qu’en Province on appelle de beaux hommes ». Il préfère se retirer dans ses livres que d’affronter la réalité.
Et quand son père le force finalement à s’en tirer, il choisira l’éducation contre le parcours de sa famille, composée de travailleurs. Le problème, c’est que c’est précisément cette décision qui le mènera à l’échafaud, puisqu’il nourrit des rêves de grandeur démesurés, inspirés par un milieu social dont il ne détient pas vraiment les clés. Au final, la seule chose qui lui redonnera une certaine paix, quand il est seul à nouveau, en prison c’est de renoncer à l’hypocrisie, et à une destinée qui n’a en réalité jamais été à portée de main.
À sa sortie, le roman Le Rouge et le noir a été admiré et contesté tout à la fois. Les personnages qui le peuplent sont tellement vivants, qu’ils semblent absolument réels et c’est cette extraordinaire lucidité sur la psychologie humaine qui rend Stendhal si particulier, et lui donne un statut à part. En 1954, Le Rouge et le Noir a été élu par Sommerset Maugham comme l’un des dix meilleurs romans jamais écrits.
Et en effet : la profondeur du roman de par ses thèmes, et sa modernité de par son écriture en ont fait un classique parmi les classiques en France, mais aussi dans le Monde. À titre d’anecdote, il existe par exemple plus de soixante traductions en langue chinoise.
Conclusion :
Le Rouge et Le Noir m’a semblé étonnamment moderne lorsque je l’ai relu : l’amour, l’ambition, et le besoin d’authenticité n’ont jamais été plus actuels. Le style de Stendhal est très direct ; très réaliste il décrit les choses avec une incroyable acuité et sans détours. Il nous place dans l’esprit de chaque personnage avec une aisance étonnante. Le Rouge et le Noir est un roman intemporel parce qu’il s’intéresse aux thèmes permanents de l’humain.
Les choix que l’on fait influencent notre vie, et conditionnent aussi notre vie amoureuse et notre place dans la société, qu’on le veuille ou non. C’est ce que Stendhal, sans aucun doute du fait de sa propre histoire, a parfaitement compris et a su réfléchir par le biais de Julien Sorel et son destin. C’est aussi l’un des premiers écrivains à avoir sans doute montré que plus que l’histoire elle-même, c’est le parcours émotionnel et l’évolution, positive ou non, des personnages, qui rend une histoire intéressante pour le lecteur, et comme dans ce cas, inoubliable.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui.
J’espère que le contenu de ce podcast dédié au rouge et au noir vous a plu et je vous remercie de l’avoir écouté.
N’oubliez pas de vous abonner pour ne pas manquer les prochains épisodes et de partager le lien, c’est toujours sympa de se sentir encouragé.
Vous pouvez retrouver tous les épisodes de Café Classique sur les principales plateformes de podcast et bien entendu sur mon site internet www.samzaenker.com.
Vous y trouverez aussi des extraits de mon premier roman La mer de sang, apparaître à la fin de l’été.
Je vous retrouve dans deux semaines pour un nouvel épisode du Café Classique et d’ici là, portez-vous bien et replongez dans vos classiques!