
Lettre à toi qui viens de tout effacer…
Tu as tout supprimé, pas vrai ?
Le chapitre que tu avais mis une semaine à écrire. Le roman inachevé. Le fichier “versionfinaleV6dernierdefinitif”.
Tu as relu. Tu as jugé. Tu as cliqué sur Supprimer.
Et maintenant tu regardes le vide, le ventre noué, en pensant que c’était mieux comme ça.
Alors cette lettre est pour toi.
Pas pour te rassurer. Pour te rappeler ce que tu viens de faire. Et pourquoi tu vas devoir recommencer.
Bravo. Tu viens d’accomplir un petit meurtre.
Et comme tous les crimes, il avait ses raisons : trop moche, trop plat, trop nul. Trop toi.
Tu as cru faire place nette.
En réalité, tu as juste creusé un trou.
Effacer, ce n’est pas recommencer.
Ce n’est pas être exigeant. Ce n’est pas viser l’excellence.
Effacer, c’est laisser la peur gagner.
Parce que soyons clairs : ce que tu as écrit était peut-être maladroit.
Mais c’était vivant.
Et maintenant ? Tu as un joli néant, propre et silencieux.
Bravo.
Tu crois qu’on devient écrivain en ne gardant que le bon ?
On devient écrivain en gardant aussi le mauvais. En regardant en face les phrases bancales, les dialogues ratés, les paragraphes trop longs.
Parce que ce sont eux qui montrent le chemin.
Effacer, c’est comme brûler les cartes pour ne pas voir qu’on tourne en rond.
C’est joli, mais tu restes perdu.
Alors je vais te demander un truc. Un seul.
La prochaine fois que tu veux tout supprimer…
Sauvegarde-le ailleurs. Dans un dossier que tu n’ouvriras pas tout de suite.
Et un jour, tu y retourneras.
Et tu verras que même les ruines peuvent servir de fondation.
Tu n’as pas tué ton texte.
Tu lui as juste demandé de revenir plus tard.
Et il reviendra.
Parce que l’écriture ne t’en veut pas.
Elle attend. Comme une bête tapie dans l’ombre.
Et crois-moi, elle a toute la nuit.
Sam Zaenker
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