Sam Zaenker

Parfois, écrire, c’est reprendre ce qu’on nous a arraché. Mot par mot.

Elle avait ce regard-là, juste avant.

Plein de rage. Plein de fièvre. Un peu fou. Un ras-le-bol acide, comme si ma simple existence était une erreur qu’elle devait corriger à coups de ceinture.

— Si je sais pas pourquoi je te tabasse, toi, tu le sais sûrement. 

Sa voix était calme. Toujours trop calme.

C’était ça, le pire. L’anticipation. Le calme avant les éclats.

J’avais dix-neuf ans. L’âge des amours impossibles, des cuites lycéennes, des envies de liberté.

Moi, je m’apprenais à survivre à coups de silence.

Je me suis endormie chez mon petit ami après une soirée devant la télé. Rentrée avec 30 minutes de retard. 

Elle s’est approchée. Je ne reculais plus depuis longtemps. Je ne pleurais plus. On apprend. On s’endurcit. On meurt un peu à la fois, mais discrètement. Et le monstre dans ton ventre, celui qui hurle de rage et de haine, il grandit encore un peu. Il grossit. Se nourrit. 

Le premier coup est tombé. Net. Chirurgical.

Le second m’a fait vaciller.

— Tu crois que t’es plus forte maintenant, c’est ça ?

Ce soir-là, j’ai compris qu’elle ne s’arrêterait jamais. J’ai vu dans ses yeux non pas une mère, mais un monstre fatigué d’avoir été humain.

Et j’ai su que si je ne partais pas, un jour elle me tuerait. Pas physiquement. Mais mentalement, à force de coups.

Je suis sortie sans claquer la porte. Juste un sac à dos bourré à craquer de fringues. Deux tee-shirts. Mon carnet, mes papiers.

On aurait dit qu’elle avait gagné.

Sam Zaenker

💬 Ce que ça m’a fait d’écrire ça

J’ai tremblé. Pas pendant l’écriture. Après.

Parce que ce n’est pas vraiment une fiction. Pas vraiment la réalité non plus. 

Parce que j’ai tenté de dire l’indicible sans lyrisme inutile.

Et parce que j’ai failli supprimer ce texte. Encore.

Écrire cette scène, c’était comme retourner dans une maison en feu pour récupérer un bijou brisé : inutile, peut-être, mais nécessaire.

Je l’ai écrite parce que je suis fatiguée qu’on me dise que “les mères font de leur mieux.” Certaines font de leur pire. Et apprennent à leurs filles de faire de même. 

Et ça aussi, ça a le droit d’exister sur le papier.

Je l’ai écrite pour celle que j’étais à dix-neuf ans.

Et pour toutes celles qui ont appris à s’aimer après avoir été haïes par la première femme qu’elles ont connue.

À lundi prochain.

Couverture : Photo de shahin khalaji sur Unsplash

Photo de José León sur Unsplash